Vers une crise généralisée de l’eau ?
Selon les dernières prévisions de Météo-France, l’été qui approche à grands pas s’annonce exceptionnellement chaud et sec. Après un hiver déjà très sec et un printemps qui se classe parmi les trois les plus chauds et secs de l’histoire, les sols et les nappes phréatiques en France sont dans un état très préoccupant. Dans certaines communes, comme à Seillans (Var), des camion-citernes multiplient déjà les allers-retours chaque jour pour ravitailler la population en eau. Dans cette interview conduite par Marie Pfund, Jean-François Mouhot, notre directeur national, revient sur cette situation inquiétante.
M.P : Bonjour Jean-François, le ministère de la Transition Écologique a annoncé en mai que 22 départements ont un risque « très probable » de sécheresse d’ici la fin de l’été, principalement dans le Sud-Est et l’Ouest. Quelle est aujourd’hui la situation au Domaine des Courmettes, le centre de formation à l’écologie géré par A Rocha en région PACA ?
J.F.M : Il y a quelques jours, nous nous sommes rendus compte que notre source, qui alimente en eau tout le Domaine et la ferme, a un débit qui s’est réduit des ⅔ par rapport à la normale de saison. Il n’a pratiquement pas plu depuis l’automne dernier et nous avons généralement très peu de pluie l’été. Même si nous avons des réserves, la situation est plutôt inquiétante. C’est quand l’eau vient à manquer qu’on prend conscience de manière brutale de son importance pour tous les besoins quotidiens, et combien il serait compliqué s’il fallait choisir entre laisser mourir les arbres du jardin ou alors prendre une douche et faire la vaisselle…
M.P: Est-ce qu’on peut attribuer cette situation au changement climatique ?
J.F.M : Le Sud de la France a toujours connu des épisodes de sécheresse, mais Météo France et de nombreuses autres sources fiables montrent que la fréquence, l’intensité et la durée de ces épisodes ont réellement augmenté ces dernières décennies. En fait, aujourd’hui, il ne fait pas de doute que la multiplication des épisodes de canicule sont liés au changement climatique. Les scientifiques travaillent à essayer de déterminer précisément quels événements climatiques extrêmes sont statistiquement directement liés au changement climatique, mais dans les faits tout le système climatique est maintenant durablement modifié par les émissions de gaz à effet de serre dues aux émissions humaines (via la combustion de pétrole, de gaz et de charbon, notamment).
M.P: Qu’en est-il des ressources en eau au niveau mondial ?
J.F.M : Le réchauffement climatique en cours nous affecte déjà et va continuer à nous impacter au cours du siècle. L’augmentation globale des températures entraîne un accroissement de l’évapotranspiration (c’est-à -dire une augmentation de l’évaporation et un assèchement des sols), et donc une augmentation des sécheresses. Le fait qu’il y ait plus d’énergie solaire dans le système atmosphérique entraîne d’autre part des risques de précipitations plus abondantes, et donc une augmentation des inondations (comme l’été dernier en Allemagne et en Belgique). Au niveau mondial, les récents rapports du GIEC publiés en 2022 alertent clairement sur les risques liés à la diminution de la disponibilité en eau : “Le changement climatique, notamment l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes, a réduit la sécurité alimentaire et hydrique. ». Cette menace concerne plus particulièrement les pays du Sud : “L’augmentation des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes expose des millions de personnes à une insécurité alimentaire aiguë et à une sécurité de l’eau réduite (…). Environ la moitié de la population mondiale connaît actuellement une grave pénurie d’eau pendant au moins une partie de l’année en raison de facteurs climatiques et non climatiques. » (résumé pour décideurs, B. 1.3, traduction libre).
M.P: Quels seront les impacts sur notre quotidien ?
J.F.M : Ils seront nombreux : restrictions d’eau en été, risque d’augmentation des maladies transmises par l’eau dans certains pays soumis à des pénuries, et surtout un risque important d’augmentation des conflits d’usage liés à l’eau. Il suffit de penser aux films Jean de Florette ou Manon des Sources pour imaginer combien ces conflits autour de l’eau ont été importants dans le passé et le redeviendront très bientôt. La pénurie d’eau impacte aussi énormément la biodiversité. Par exemple, la sécheresse aux Courmettes et aux alentours en 2017 a entraîné une diminution très importante du nombre de cerfs élaphes.
M.P: Que fait A Rocha face à cette situation qui s’aggrave ?
J.F.M : D’abord, nous alertons depuis de nombreuses années sur la réalité, la gravité et la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Nous espérons par cette prise de conscience une mobilisation de tous, notamment des chrétiens, pour agir au quotidien pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et pour porter une parole publique sur la question du climat. L’Eglise et les chrétiens ont des atouts à faire valoir et pourraient être des exemples de vie simple et de sobriété. Par ailleurs, nous expérimentons concrètement aux Courmettes des moyens pour nous adapter au changement climatique en favorisant des techniques de jardinage moins gourmandes en eau (agriculture biologique avec paillage des sols par exemple), en réduisant notre consommation quotidienne et notre niveau de confort, et en envisageant de construire des stockages d’eau supplémentaires.
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Jean-François Mouhot est docteur en histoire de l’environnement, conférencier et directeur d’A Rocha France.
Marie Pfund est responsable communication et collecte de fonds pour A Rocha France.
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Source : Novethic